Après un silence assourdissant, presque une semaine après le meurtre de Paul Varry par un automobiliste au volant d’un SUV, le Ministre des transports F. Duroveray a reçu plusieurs organisations cyclistes et annoncé le lancement d’une mission contre la violence sur les routes. Derrière cet effet d’annonce, qu’attendre réellement sur le sujet (et pourquoi ne faut-il pas y mettre trop d’espoir) ?
D’abord, convenons que cette initiative était nécessaire. Il est temps qu’un rapport sur les violences motorisées envers les cyclistes, si longtemps demandé aux gouvernements, soit enfin réalisé. Dans 4 mois, le gouvernement devra donc proposer des solutions concrètes pour lutter contre cette violence désormais systémique qu’est la violence routière.
Passé cela, il convient de constater que les annonces manquent une nouvelle fois d’ambition.
D’abord en termes de moyens : le Ministre a annoncé d’éventuels restes de CPER et d’hypothétiques nouveaux dispositifs CEE. C’est beaucoup trop peu pour notre politique du vélo, qui demande d’impératifs investissements.
Après avoir proposé un PLF au rabais sur le sujet, le gouvernement serait bien inspiré de commencer par le dégel du Fonds mobilités actives et le respect des engagements du Plan vélo et marche 2023-2027.
Ensuite, car elles ne s’attaquent pas au fond du sujet : celui de la violence motorisée systémique. Le meurtre de Paul n’est pas un fait divers ou un acte isolé. C’est la conséquence de la violence motorisée, que nombre de cyclistes vivent au quotidien. Nous nous sommes d’ailleurs toutes et tous reconnu dans cette altercation, comme le souligne le nombre de témoignages sur les réseaux sociaux à la suite de ce drame. Cette violence illustre la difficile cohabitation des mobilités dans une société où l’individualisme, la tension et la masculinité restent trop présents. Une loi règne : celle du plus fort.
Malgré les nombreuses pistes travaillées ces dernières années par les associations de cyclistes, le gouvernement atteste une nouvelle fois de son retard sur la question.
La mort de Paul nous oblige à des choix forts. La réalisation d’aménagements de qualité et un travail sur les comportements (actions de sensibilisation, d’éducation mais aussi prévention et répression) sont nécessaires, de même qu’une vraie réflexion sur nos moyens de transport de demain. Inspirons-nous du travail des associations sur le sujet.
Deux pistes me semblent nécessaires à creuser :
D’abord, au sujet des SUV : selon les premières conclusions présentées dans le bilan 2023 de la sécurité routière, « les accidents impliquant un SUV sont statistiquement plus souvent mortels pour les usagers vulnérables qu’ils percutent ».
Une étude de l’assureur AXA indique que ces véhicules sont responsables de 25 % d’accidents supplémentaires, avec des conséquences souvent beaucoup plus graves, notamment pour les piétons. Le poids et la taille de ces véhicules posent question.
- Le poids : en moyenne, les voitures se sont alourdies de 400 kg en 70 ans. Cet alourdissement progressif, environ 6 kg par an, concerne toutes les catégories de véhicules, qu’il s’agisse des SUV, dont la popularité ne cesse de croître (40 % de la flotte automobile), ou des voitures plus compactes. Dans les faits, un cycliste pèse donc 30 fois moins lourd qu’un SUV. En cas de choc, il n’a aucune chance.
- Le volume : en 50 ans, les voitures se sont élargies de 20 cm, allongées de 10 cm et grandies de 7 cm, soit 1 400 cm3 supplémentaires. Nous avons un véritable enjeu industriel pour faire en sorte que nos voitures cessent d’être toujours plus lourdes et volumineuses.
- La puissance : une étude de mars 2024 menée par CarVertical montre que plus un véhicule est puissant, plus il a de chances d’être impliqué dans un accident. Les marques allemandes, comme BMW (68 % d’accidents pour les modèles de plus de 400 kW), Tesla (62 %), et Audi (56 %), sont parmi les plus accidentogènes. À l’inverse, les voitures françaises comme Citroën (37 %), Renault (36 %), et Peugeot (33 %) sont moins souvent impliquées dans des accidents, surtout dans leurs modèles moins puissants.
Sur la violence motorisée, l’université médicale de Vienne a publiée une étude attestant d’un véritable « effet SUV ». En réponse à ces enjeux, certaines villes comme Paris et Lyon ont mis en place des mesures pour limiter leur impact. Il faut aller plus loin : les SUV ont-ils réellement leur place dans nos villes ? Le sénateur Ian Brossat a récemment posé le sujet de façon très juste. Il faut une consultation des Parisiens sur le sujet.
Un autre sujet à soulever est celui de la virilité automobile faite de puissance et d’agressivité : selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière 2022-2023, 84 % des présumés responsables d’accidents mortels sont des hommes. Les travaux de sociologues sur la question sont nombreux, tels ceux de Cyrille Dupré-Gazave, coautrice d’une étude réalisée début 2024 pour la Sécurité routière : « La masculinité, la virilité toxique, par le fait qu’elle a besoin de se prouver aux autres, de dominer, l’amène à des prises de risques qui favorisent l’accidentalité routière et conduit à une dangerosité élevée. […] La voiture est pour la masculinité un objet familier, très investi affectivement dès le plus jeune âge, un objet identitaire, choisi parfois pour servir sa virilité. » L’un des leviers d’action sur le sujet est celui de la publicité, qui ne cesse de reprendre les codes de cette virilité automobile pour vendre ses produits.
Aujourd’hui, les images montrent souvent des véhicules imposants, conduits par des hommes, occupant une place centrale, exerçant une domination évidente sur l’espace environnant. Les voitures sont toujours présentées seules, dans de vastes espaces vides, sans embouteillages. Cet imaginaire doit être déconstruit. La responsabilité des publicitaires est immense sur le sujet. Il est nécessaire de mieux réguler le secteur, et de remettre en question le modèle publicitaire autour des voitures lourdes.
Ouvrons effectivement la voie à l’interdiction de publicité pour les véhicules lourds et polluants. Exigeons des publicitaires l’intégration de la diversité dans leurs publicités pour le reste des véhicules, afin de casser le mythe de l’homme dominant au volant de sa voiture. À Paris et comme d’autres grandes villes, sous le volontarisme actif d’Anne Hidalgo, nous avons fait le choix d’une politique de réduction drastique de la place de la voiture, pour mettre fin à ce que certains chercheurs appellent « The arrogance of space », la voiture cannibalisant 80 % de l’espace d’une rue ou d’une avenue.
Cette politique doit rendre les espaces aux piétons, et permettre une meilleure qualité de l’air. Cette politique suppose que les comportements changent. Dans des aires urbaines comme Paris, nous sommes parvenus à un nouveau point de bascule où la circulation doit être repensée autour des nouveaux paradigmes que sont le piéton et le vélo, qui correspondent à une ère urbaine plus fluide et plus écologique.
La Maire de Paris a ouvert la voie avec la consultation sur les SUV organisée par la Ville de Paris début 2024. Poursuivons ce chemin.
À Paris comme ailleurs, les collectivités prennent de formidables initiatives pour traiter le sujet de la violence motorisée, à l’image de la ville de Saint-Ouen, dont le maire Karim Bouamrane a convoqué un conseil municipal extraordinaire pour traiter du problème. Le gouvernement ferait bien de s’en inspirer.